M. est une fille qui s’éclipse souvent. Au restaurant, dans un bar, parfois même dans la rue, elle trouve un coin et disparaît. Ca ne prend jamais très longtemps, juste quelques minutes, puis elle revient, sereine. Son manège peut sembler étrange à ceux qui ne la connaissent pas très bien, mais elle s’en fiche, c’est même le dernier de ses soucis. Elle leur parlera après, oui, ils s’amuseront, ils vont rire avec elle et oublier ce détail, mais ce sera plus tard, « après ». En attendant, quand il le faut, elle s’éloigne en trouvant n’importe quelle excuse, téléphone, soif, prendre l’air, n’importe quoi pour être seule un instant et ne pas être dérangée.
Qui soupçonnerait sa jeunesse, ses barrettes colorées, ses yeux rieurs, son nez retroussé et ses tâches de rousseur qui lui donnent cet air adorable et taquin ? Même l’anneau percé dans sa lèvre inférieure n’a l’air que d’un charmant bijou sur les traits fins de son visage. Elle dit qu’elle aime beaucoup l’art et écrit quelques poèmes de temps à autres. Et elle aime en rire, déclamant quelques vers tragiques au milieu d’un parc ou d’une rue.
Hier matin, M. ne devait pas avoir toute sa tête quand elle est partie de chez elle. Pourtant elle savait qu’elle allait passer deux jours à New York. Elle s’est tout de suite rendue compte en arrivant en ville qu’elle n’aurait pas de quoi tenir tout ce temps et que le sachet misérable au fond de son sac ne ferait pas long feu. Elle prit une grande inspiration et décida de continuer son weekend normalement, en ralentissant un peu le rythme pour prolonger ses réserves.
Au soir, M. a commencé à se sentir mal. Elle faisait des phrases de plus en plus courtes, sèches, puis péremptoires, voire impitoyables pour ceux qui se trouvaient sur son chemin. Le manque grandissait et elle avait très mal à l’estomac. Deux ou trois cachets l’ont aidée à se calmer, une mixture de sa propre invention pour avoir un peu de répit. Elle décida de boire beaucoup d’alcool, ça aussi, ça pouvait aider.
Mais vers quatre heures du matin, la douleur est revenue, insupportable. Nausées, sueurs, vertiges, et elle devait encore attendre jusqu’au lendemain soir…Elle passa quelques coups de téléphone, en urgence, mais personne ne pouvait lui amener quoi que ce soit sur le moment. Elle, elle en avait besoin maintenant, là, tout de suite. Les réseaux se sont activés, les amis, compréhensifs ou agacés, les connaissances vagues…personne ne pouvait rien y faire, c’était trop compliqué. Elle allait encore devoir tenir une fin de nuit et une journée entière.
De retour à l’hôtel, elle réussit à dormir une petite heure. Elle passa le reste du temps à se tourner et se retourner dans tous les sens, incapable de se maîtriser, puis elle finit par quitter son lit pour rester debout, au milieu de sa chambre, à attendre que la nuit passe.
A midi, elle essaya de manger, mais elle avait trop mal. Des « tambours » résonnaient dans sa tête et la terrassaient littéralement. Elle resta un bon moment à moitié allongée sur la table du restaurant, la tête posée sur son sac et les yeux fermés, en murmurant des excuses sur son état. Elle tremblait de froid, en sueur, mettait et enlevait sans cesse son gilet, tandis que tous les autres autour suffoquaient dans la chaleur de l’été. Enfin, le moment arriva, l’heure de prendre la route pour rentrer. Il restait encore le trajet à patienter, trois longues heures, mais la seule idée de mettre fin à ce calvaire la réjouissait. Quand elle arriva chez elle en fin d’après-midi, elle prit au fond de son tiroir la dose d’héroïne que son corps réclamait. A cet instant, M. retrouva son charmant petit sourire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire