1er juillet 2007

Tony est assis sur une chaise en bois devant le restaurant. Il boit un thé à la menthe, seul. Il fait doux ce soir, la salle est presque vide. Les gens préfèrent se balader, aller dans un parc ou à une terrasse. Lui, il reste là, à regarder la rue.

Je fais quelques pas vers lui et reste appuyée contre la porte. Il se retourne et me sourit. Il y a encore des airs de jeune homme élégant et discret malgré ses cheveux argentés. Des petites lunettes dessinent deux ronds pleins de curiosité sur son visage, « Pour mieux voir », a-t-il l’habitude de dire. Ses yeux parcourent le trottoir d’en face, les passants, le couple qui s’embrasse dans l’ombre d’un escalier. Il boit son thé tranquillement. Il a, même assis sur cette petite chaise, une attitude détendue et satisfaite. Il me pose des questions, aimable et délicat, en me regardant avec une douce attention, comme pour ne pas me brusquer. De temps à autres, il porte à ses lèvres le verre minuscule et étroit, qui dégage un parfum de fleur d’oranger, mêlé à la menthe et au thé vert sucré. Il savoure.

Il me dit qu’il a beaucoup marché aujourd’hui, qu’il s’est promené à travers toute la ville. Le temps était agréable et les rues n’étaient pas trop pleines. Il a vu quelques amis, ils ont pris un café ensemble près de Bleecker street. Puis il a marché encore et a fini par atterrir ici. Cette fois c’est moi qui souris, car Tony passe presque tous les jours au restaurant. Tous les jours, il fait mine de passer une première fois, puis revient sur ses pas pour nous saluer. Tous les jours, il nous dit qu’il était en route pour tel endroit, puis finit par rester un peu, parfois même pour la soirée entière.

Assis sur sa chaise de bois, il me parle de liberté et de temps. Il parle de la mer, de l’indépendance et l’éternité. Il me raconte un voyage, je ne sais où, et des rencontres qu’il a pu faire, de la parole des étrangers qui lui a tant apporté, de cette vie ici qu’il ne comprend pas parfois, tant on lui demande des explications ou des performances. Il parle avec le regard droit, plongé dans la pénombre, comme s’il m’avait oubliée. Il continue, il évoque la perfection qui selon lui est un état serein. Il dit aussi que peu de choses peuvent nous l’apporter, que peu de choses nous font oublier ce temps et cette société, et ses résultats, ses oppressions. Il parle de ces choses comme de trésors, trop vite perdus, trop vite oubliés. Je l’écoute et observe attendrie son t-shirt à rayures, ses sandales en cuir marron, son thé encore brûlant, quand sa voix faiblit. « Douce consolation, me dit-il, qu’une soirée tranquille et agréable à passer ici ». Son regard retombe directement vers le sol et il ajoute dans un murmure : « Que l’on doit être fort pour répondre la vérité à chaque question, et à tous...et ne pas accepter de perdre ce qui compte vraiment ».

Soudain, comme si j’avais brisé sa pensée, il se tourne vers moi et me demande un autre verre. Par étonnement autant que par réflexe, je file au pas de course vers le bar. Là-bas, en attendant sa boisson, je regarde, à travers la devanture et les rideaux, sa silhouette, la forme de ses épaules qui m’ont l’air fatiguées, pour la première fois. Puis je le vois se lever lentement, alors que je ne suis qu’à quelques mètres de lui, mais il ne se retourne pas, il part, sans nous dire au revoir, sans nous faire signe. Je reste sur le pas de la porte à le regarder s’éloigner, son verre de thé à la main.

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