31 mars 2007

Les badauds se promènent, l’après-midi s’étire paresseusement. Les couvertures étendues sur l’herbe, on déjeune, on rit, on s’endort paisiblement. Les promenades sont joyeuses, les pas assez lents, on discute avec ceux que l’on croise, on rit encore, les enfants dévalent les collines en courant. Les corps se fondent dans l’air doux, les regards éblouis par la clarté du soleil et des reflets sur l’étang. Le ciel est blanc de lumière, les branches des saules s’inclinent et dansent, doucement balancées par le vent. Deux musiciens jouent sur le pont.

La fille commence un air au violon, avec la beauté mélancolique d’un premier jour de printemps. Le garçon l’accompagne à la guitare, les spectateurs sont heureux. La mélodie s’atténue puis repart, comme un murmure délicat qui remplit l’air ensoleillé de cette journée pleine de fraîcheur. Il joue mais il n’ose pas la regarder vraiment, il cache son visage, tandis que la foule les écoute et s’anime, ravie par cette douce musique du temps des premières fleurs. Il la cherche puis se détourne, les badauds, eux, applaudissent ce joli couple qui joue si bien et qui les enchante tant.

Les branches frémissent et me donnent un léger frisson, le sourire des passants, les plaintes du violon, ses yeux qui la chérissent si tendrement et les statues de bronze sur le pont, donnent à son regard la beauté fragile des premiers jours des amants.

24 mars 2007

Le soleil apparaît un peu plus chaque jour, le printemps arrive. Il y a un chat qui vient souvent sous ma fenêtre. Il a dû sentir, comme moi, qu’il était temps de sortir. Il reste là, beau et sauvage, avec ses yeux gris-vert qui m’observent fixement. Je sais qu’il veut que je le voie, même il ne s’approche jamais trop près. Il m’accepte peu à peu, même si, encore aujourd’hui, je sais qu’il ne se sent pas complètement rassuré en ma présence. Il nous faudra du temps. Mais je serai patiente.

Au début, je croyais qu’il était simplement capricieux. J’ai bien essayé de le séduire, mais les jeux complices ne duraient jamais longtemps. Il semblait heureux pourtant dans ces moments-là, un rien nous suffisait. Il saisissait tout que je lui tendais, ou feignait de l’ignorer puis sautait dessus avec agilité. Il me surprenait et il en était ravi. Il aimait aussi jouer avec des bouts de bois que j’agitais sous son nez. Il les attrapait à chaque fois. Mais il y avait toujours ce moment où les jeux s’arrêtaient. Il s’écartait de moi, je semblais devenir un danger pour lui. Je voyais son regard paniquer, son corps se recroqueviller, puis il filait, sans raison, subitement. Je ne comprenais pas.
Ses incessants allers-retours, apparitions, disparitions, ont fini par m’irriter. Impatiente et agacée, alors que j’avais cru commencer à l’apprivoiser, j’ai décidé de ne plus faire attention à lui, de ne plus le regarder. Un jour, comme il restait là, à quelques mètres de moi, je me suis mise à lui crier dessus. Je me suis avancée et je l’ai provoqué. Il m’a regardée intensément, prêt à se battre, avec moi, moi qui le défiais. Il m’a griffée. Alors je l’ai chassé, avec rage, loin de ma fenêtre et de mon jardin. Je n’avais pas compris. Je le voyais au loin les jours suivants, mais il ne venait plus chez moi. Je l’avais déçu, je crois.

Un soir, après quelques temps, assise sur les marches du porche, je l’ai aperçu entrain dormir contre un arbre. Il était revenu. Pleine de remords, je voulais lui montrer que je l’aimais toujours et qu’il ne devait pas me craindre. Alors, lentement, je me suis levée et je suis allée m’asseoir près de lui. Nous sommes restés longtemps ainsi, côte à côte, immobiles. Puis, sans relever la tête, sans me regarder, il s’est tristement appuyé contre moi. J’ai posé ma main sur son corps fragile et je n’ai plus bougé. J’ai compris aujourd’hui, qu’il faut du temps à un être blessé pour pouvoir se laisser aimer à nouveau.

16 mars 2007

Elle s’appelle Lexy. Elle aime bien les voleurs, les menteurs et les salauds. Parce que ceux-là au moins, ils sont ce qu’ils sont. Pas comme tous ceux, là, ceux qu’on voit, ceux qui sourient tout le temps. Ils ne savent même pas pourquoi. Elle aime bien aussi se promener en ville le soir, quand il n’y a plus personne. Pas de costard cravates, pas de musique mielleuse et pleurnicharde, tu sais, celle qui te raconte sa vie en long en large, celle qui te ressemble tellement, que tu comprends si bien, parce que les paroles sont si belles…Pas de famille idéale non plus, main dans la main, joie de vivre et les gosses avec…C’est mignon, c’est tout beau, c’est tout lisse, tout vide. Elle fixe les gens droit dans les yeux dans le métro. Elle adore ça, ça les dérange. Elle n’a pas l’impression d’y perdre grand’chose, ils ne sont même pas fichus de lui faire un reproche. Comme ils peuvent se foutre de tout.

8 mars 2007

Dans le restaurant, tout là-haut, un enfant regarde la vue. Ses boucles dorées reposent sur son front. Il doit avoir huit ans. Depuis son palais de verre, les mains appuyées contre les vitres, il observe avec attention l’espace autour de lui.

Dans la salle, le piano est fermé, les musiciens ne sont pas encore là. Les fauteuils en cuir marron des clients, les lumières du plafond boisé, tamisées et diffuses. Martinis, pâtisseries et fleur d’oranger. Les adultes parlent. Ce couple, ce travail, cette décision si importante. Carte de crédit. Les verres sur les plateaux défilent. Personne ne fait attention à lui.

Il voit les îles sombres dans la baie, l’océan est calme ce soir. Un avion décolle au loin. Souverain indulgent, il contemple le manège mécanique de ses petits sujets, ballet ordonné de lumières et de voies tracées pour ceux qui sont en bas. Ses étoiles, elles, restent bien hautes dans le ciel. Seul et tranquille, il règne. Il ne faut pas avoir peur d’une ville dont le prince est un enfant.

2 mars 2007

On dirait l’automne. Il fait frais, la nuit tombe. Les arbres dégagent une douce senteur de bois humide. Il reste encore un peu de neige, par-ci par-là, au bord des trottoirs et sur les terrains d’herbe. Un couple est assis sur un banc au bord du lac. Je les vois depuis ma fenêtre. Au bout d’un moment, la jeune femme se lève et fait quelques pas. Elle s’arrête et se retourne vers le jeune homme resté immobile. Elle se tient bien droite, debout face à lui, lui, qui garde la tête obstinément baissée vers le sol. Elle fait demi-tour et s’éloigne. Il se lève rapidement, saisit son bras et la ramène contre lui. Une pluie fine commence à tomber. Il lui parle doucement, il lui caresse les cheveux. Le vent commence à monter. Il embrasse son visage, respire sa peau, sa joue, son front, ses yeux. Elle se dégage soudain brusquement. Sa main effleure son manteau, mais il est trop tard. Elle marche, vite, loin, le corps raidi, les poings fermés. Elle ne se retourne pas. Nous avons compris, lui et moi. Sa silhouette s’efface dans la brume, tandis qu’il reste là, à la regarder disparaître. Les nuages sont bas ce soir. Je vois son souffle irrégulier s’échapper dans le froid. Il retourne lentement s’asseoir sur le banc. Il relève la tête une dernière fois, mais il n’y a plus que la pénombre pour l’entourer.

Le sol réfléchit mille petits fragments de lumière, des perles de pluie scintillent et tombent des branches nues des arbres morts. Il va faire froid cette nuit, l’eau a déjà commencé à se transformer en glace. Nous sommes toujours en hiver.