30 avril 2007

Son corps s’agite violemment, ses yeux paniquent. Elle me regarde, désespérée, et moi je ne peux rien faire. Sa main s’agrippe à la mienne, elle me serre fort les doigts, j’ai mal, je sens ses ongles dans ma peau, elle s’accroche à mon bras, j’ai mal mais je laisse rentrer sa douleur en moi, j’absorbe la violence qui la traverse et qui l’a mise à terre. Ses jambes partent d’un côté puis de l’autre, insatiables, sans répit, secousses, tensions, elles se tendent et se rétractent par à-coups. Elle pleure mon nom, elle le répète, elle m’appelle et je suis là, je suis là mais je ne suis qu’un fantôme, je reste là, pétrifiée, stupide, vide, absurdement inutile et désemparée. Tous ses muscles se tendent, se contractent sous des impulsions incontrôlables. Elle est à bout de souffle, elle gémit, elle ferme fort les yeux et respire par saccades. Son cœur bat à tout rompre, je le vois, je vois sa pulsation sur sa poitrine, à travers ses vêtements. Je vois tout cela et je ne peux rien faire. Ses yeux me regardent, ils sont suspendus aux miens, ils attendent, ils m’attendent et moi je les fuis.

18 avril 2007

Nous dormions encore quand la tempête a commencé ce matin. Elle avait dû se préparer toute la nuit, laisser monter sa colère sourde, pour nous surprendre au réveil. Le vent est monté peu à peu, mais nous ne l’entendions pas. Notre sommeil était trop lourd. La pluie tombait, mais ce n’était rien que de la pluie, des gouttes de tous les jours, celles d’une journée grise, de la fatigue, d’une tristesse ou d’une angoisse. Et d’un coup les rafales se sont abattues. Sèches, violentes, puissantes, on ne pouvait pas leur échapper. Nos abris ne nous protégeaient plus de rien.

Les feuilles s’accrochaient désespérément, mais elles ont fini par toutes se faire emporter. Les éclats rouges des pétales de fleurs s’envolaient dans le tourbillon, arrachées elles aussi, elles retombaient éparpillées sur le sol comme des gouttes de sang. Les branches n’ont pas résisté, elles se sont toutes brisées, une à une.

Nous nous sommes cloîtrés, nous avons prié pour que cela s’arrête. Nous avons mis nos mains sur nos oreilles pour ne plus rien entendre, mais le vent a continué à hurler. Sa rage transperçait tout. Le ciel a gémit une dernière fois puis ce fut terminé. Plus de fracas, plus qu’une simple pluie qui tombait doucement. Les éclats morts sont restés longtemps sur le sol avant que nous n’osions sortir. Les rues sont encore inondées, la pluie tombe toujours en silence aujourd’hui.

13 avril 2007

Un homme marche lentement devant moi. Moi, je déambule, les rues pavées de ce quartier sont tranquilles. C’est l’heure du crépuscule. Il murmure des mots tout bas, doucement, on dirait qu’il parle à quelqu’un. Il a du entendre mes pas, car il se retourne et me dit gentiment:
- Je ne suis pas fou, vous savez. C’est ma fille, elle est loin.
Je ne réponds rien et lui souris. Il continue :
- Je lui écris un peu tous les jours. Mais je ne sais pas vraiment m’y prendre, je n’ai jamais été doué pour écrire. Il y aurait trop de choses à dire. Qu’est-ce que je pourrais bien lui raconter d’autre que les visages familiers et les paysages qu’elle connaît déjà ? Alors, oui, je lui envoie quelques mots, souvent, ou je les regroupe, parfois j’écris une semaine entière dans une lettre. Je lui raconte mes journées, ce que je fais, qui je vois. Je lui envoie des bouts de tous les jours. Elle a l’air heureuse là-bas.
Il regarde autour de nous et me sourit :
- Au revoir mademoiselle, je vais encore marcher un peu et continuer à lui parler…

6 avril 2007

Les plages s’étendent à perte de vue le long de la baie, désertes, de cette couleur un peu terne qui rappelle aux quelques promeneurs qu’elles seront toujours là, quoiqu’il arrive. Les saisons n’y feront rien, l’océan aura beau se déchaîner ou venir doucement caresser leur rivage, le vent pourra bien être froid et le soleil capricieux, elles nous réduiront toujours à l’état d’humbles visiteurs. Elles nous laisseront gambader joyeusement, méditer sur leur sable où s’inscrivent les traces de notre passage, qui seront bien vite effacées et remplacées par d’autres, elles nous autoriseront à nous y étendre un peu, voler de leur éternité, nous offriront du sable fin à écouler lentement entre nos doigts et écouteront avec patience nos âmes en quête d’apaisement, qui n’oseront que murmurer timidement aux vagues et au vent leurs confessions.